🤖 Peut-on encore écrire "vrai" quand l’IA écrit pour nous ?
#21 - Et on cause aussi IA qui détruit les marques, (fausse) mesure des performances des contenus, de la nécessité de mieux filtrer les contenus, ou encore ChatGPT qui grignote Google.
En 2023, on fantasmait encore sur ChatGPT comme sur une boîte à contenus magique, une machine capable de sulfater sans sourciller posts LinkedIn, newsletters, résumés de réunions et poèmes super inspirants sur le sens de la vie en entreprise.
Deux ans plus tard, on se rend compte qu’en lui délégant l’écriture, on a aussi glissé entre les méandres de ses circuits électroniques une part de notre voix ; et avec elle, notre capacité à écrire vrai.
Dans un excellent texte cosigné par Kevin Pujol et Patrick Kervern intitulé “Qu’est-ce qu’écrire vrai ?”, les deux comparses s’attaquent à une question simple, presque naïve pourrait-on dire, mais qui prend aujourd’hui, et à mon sens, une résonance vertigineuse : qu’est-ce qu’un mot vrai ? Est-ce qu’il sera encore possible de dire quelque chose de sincère dans notre monde cyberpunk où la langue elle-même est pasteurisée sans ménagement ?
Leur réponse (loin d’être technophobe ou passéiste, il faut le mettre à leur crédit) est une belle ode à la dissonance. Une défense de l’écriture comme tension - entre l’implicite et le cri, entre le silence et la fulgurance ; ils montrent que ce qui résonne vraiment dans cet exercice, c’est ce qui n’est pas totalement dit. Ce qui affleure. Ce qui trouble. Ce qui échappe. Et d’affirmer :
“Le vrai, c’est du vécu inexprimé”
Et ça, aucune IA ne peut le synthétiser.
Peut-être que l’écriture n’est pas là pour informer ; peut-être qu’elle est là pour faire ressentir.
Qu’est-ce que cette vision peut impliquer pour nos métiers dans le “contenu” ? Plein de trucs.
Dans une étude publiée par Redpoint en 2024 (B2B Buyers Content that Converts Report), 93 % des acheteurs déclarent ainsi qu’ils font davantage confiance aux marques qui publient du contenu basé sur des recherches, des insights ou des datas inédites, originales. Et pourtant, qu’est-ce qu’on mange dans nos fils d’actu ? Une avalanche de contenus clonés produits par les mêmes outils, sur les mêmes prompts, avec les mêmes templates.
Idem, dans le benchmark du Content Marketing Institute, 57 % des marketers B2B reconnaissent qu’ils peinent à produire du “bon contenu” pour leur audience. Pas “beau”. Pas “SEO friendly”. Non : bon. Qui touche. Qui reste. Qui susurre à l’oreille quelque chose de nouveau, d’inédit.
Et selon Turtl et CMI Benchmarks, le vrai défi des marketers, c’est de produire du contenu différenciant - parce qu’on est déjà noyés dans la soupe imbuvable de listes de 5 astuces + bonus en PDF (“vite jeune margoulin·e, commente “raclette” en com pour le recevoir gratos, après il sera payant”).
Le hic, c’est qu’on a tellement parlé “d’authenticité” qu’on en a vidé le mot de sa substance. Écrire “vrai” n’est pas une stratégie de différenciation. C’est une résistance.
D’abord, écrire vrai pour nous, les forçats du “contenu”, ce n’est pas refuser l’IA. C’est refuser qu’elle nous tire vers le milieu. Vers les contenus “bons élèves” qui ne dérangent personne, n’engagent rien, ne disent rien d’unique.
Écrire vrai, c’est aussi prendre un risque, autant dans le fond que la forme. C’est oser dire des choses qui ne cochent pas toutes les cases d’un template de copywriting. C’est avoir une voix. Une voix qui ne ressemble pas à celle des autres - et surtout pas à celle d’une machine.
Et surtout, écrire vrai, c’est rater. Car si écrire vrai, c’est tenter d’atteindre ce que Kevin et Patrick appellent “le poids de l’âme dans les mots”, alors c’est forcément une quête imparfaite (et cette imperfection se ressent bien aujourd’hui dans l’impuissance des marketers à produire du “bon contenu” malgré l’avalanche de stats et de datas).
Mais justement. C’est dans cette tension, cette rugosité, ce “presque”, que se trouve la part humaine. Et ça, ni GPT-4, 5 ou 6, ni ses trouze milliards de neurones ne pourront l’inventer.
Et vous, qu’est-ce que vous n’avez jamais osé écrire ?
Dans l'épisode 1, je vous racontais l'ascension fulgurante - et mystérieuse - de Lauren Hurst, cette ado australienne qui est devenue en 2022 une véritable star de LinkedIn.
Depuis, j'ai poursuivi l'enquête. J'ai remonté ses premiers posts. J'ai déterré d'anciens articles.
Et j'ai retrouvé une journaliste des Échos, l'une des rares personnes à avoir échangé avec Lauren avant sa disparition. Quelques jours plus tard, j'étais à Paris pour un entretien avec elle.
On a parlé de beaucoup de choses ; de cette impression étrange qu'elle a eue en lui parlant ; de ses réponses trop parfaites, de son discours trop calibré pour une enfant de 13 ans.
Et surtout : elle m'a confirmé un soupçon que j'avais depuis le début.
Lauren n'était peut-être pas seule aux commandes.
Bref, l'épisode 2 est en ligne, et les choses commencent à devenir fascinantes :
Et on dit “merci beaucoup” au sponsor de ce podcast : Astram Studio. Si vous êtes une entreprise B2B et que vous avez besoin de contenus ciselés aux p’tits oignons comme celui sur Lauren Hurst, le tout sous un format “kit de contenus à abonnement illimité”, faites comme Blondie → 📞.
Dans un article publié sur LinkedIn, Muriel Vandermeulen constate que le storytelling, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui par les marques, serait une coquille vide. Une mécanique creuse, standardisée, désincarnée, avec (évidemment) une nette accélération à cause de l’IA.
Alors, oui, c’est pas faux du tout. À force de répéter les mêmes schémas éculés (héros, émotion, authenticité surjouée), les marques deviennent des clones. L’originalité s’efface sous l’obsession de la performance.
Quand Muriel dit aussi que “l’IA ne tue pas les marques. Elle révèle leur inexistence”, c’est aussi très juste : elle ne fait qu’amplifier les fondations éditoriales déjà présentes ; l’IA est une chambre d’écho, pas un deus ex machina. S’il n’y a rien, pour rappel, les multiplications par zéro, ça ne donne aucun résultat.
Là où les propos deviennent plus discutables, c’est quand on lit que “Le storytelling est une mode, pas une structure”. Certes, le storytelling peut être une mode quand il est plaqué comme un vernis marketing, sans vision éditoriale claire derrière. Mais balayer la notion en bloc, c’est ignorer ses racines anthropologiques. Pour avoir pas mal bouffé de Ricoeur pendant mes études de lettres, le monsieur démontrait déjà dans Temps et récit que toute construction de sens passe par un récit structurant, y compris dans les organisations.
Autrement dit, ce n’est pas l’idée de récit le problème : c’est l’absence de profondeur narrative derrière le vernis.
Dans un article récent, Marketing Insider revient sur les principales métriques à utiliser pour mesurer les perfs de ses contenus. C’est très propret, un peu trop d’ailleurs, puisque ça déroule les commandements du content marketing data-driven de façon méthodique, claire et sans surprise.
Par exemple, quand on lit qu’il “faut tracker les conversions pour prouver l’impact business”, oui, certes, mais on oublie une chose : tout n’est pas mesurable à court terme. Le contenu de marque - celui qui construit la notoriété, la confiance, l’affinité - se construit sur des mois, parfois des années. C’est tout le problème de l’instrumentalisation à outrance : on valorise ce qui est quantifiable, pas ce qui est signifiant.
Oui, l’IA affine les analyses et les tests A/B optimisent la conversion. Mais à force de tout optimiser, on oublie l’essentiel : l’intention éditoriale. L’obsession de l’A/B testing peut aussi aplanir les idées. Or, l’efficacité n’est pas toujours synonyme de qualité : pour rappel, ce n’est pas parce qu’un titre clivant clique plus qu’il est bon.
Bref, aligner les bonnes pratiques, c’est super, mais ne pas oublier de questionner les fondements de ces bonnes pratiques, c’est encore mieux.
C’est en tout cas l’une des idées assenées par ce papier écrit par Convince & Convert, et qui le pourquoi du comment de la refonte de leur newsletter.
L’infobésité est clairement un fléau, et la fonction de curation est effectivement ce qui redonne du sens à l’éditorial (ce qui explique aussi pourquoi je m’emmerde autant avec cette newsletter). Je suis persuadé que la valeur ne réside plus dans la production brute, mais dans l’interprétation, dans la capacité à faire un tri intelligent.
C’est précisément ce vers quoi est parti Convince & Convert, avec un nouveau format de newsletter davantage structuré, hiérarchisé et orienté big picture ; à mon sens, c’est sûrement le point le plus fort du projet : cette volonté d’imposer un fil rouge, de donner du contexte stratégique, et de ne pas juste empiler des liens random trouvés ici et là. Dommage cependant que l’article passe sous silence les choix éditoriaux, les angles ou les tensions narratives qui font vraiment la différence entre une newsletter lambda (façon je recrache vaguement mon post LinkedIn) et une voix distinctive.
Seul problème auquel je suis également confronté : maximiser le contenu à l’intérieur même de l’email, ça pousse à compresser encore plus l’info et à réduire des analyses complexes en snacks digestes. Si quelqu’un·e a une soluce, je suis preneur.
Vous aimez prendre des notes à l’oral ?
Si, comme moi, vous avez souvent des idées lumineuses sous la douche pendant que vous écoutez une vieille playlist des années 70 ou 80, alors cet outil devrait sûrement vous intéresser.
Je vous présente WhisperNote : c’est un outil gratos au format super minimaliste. Et quand je dis minimaliste, je déconne pas, y’a qu’une seule fonctionnalité : on appuie sur un bouton, on parle, on réappuie dessus pour générer les notes, et basta. Même pas besoin de créer de compte, nada.
Et si je vous en parle, c’est que la retranscription texte est très fidèle, et vu les merdes que peut parfois me générer Google, c’est un excellent point en sa faveur.
🤖 ChatGPT grignote Google (mais pas comme vous croyez) : selon Semrush, le nombre de sites recevant du trafic depuis ChatGPT a triplé en quelques mois en 2024. Pourtant, dans 54 % des cas, la fonction SearchGPT (accès au web) était désactivée. Et quand les gens l’utilisent, c’est surtout pour apprendre, pas pour cliquer. Bref, ChatGPT devient une sorte d’encyclopédie de poche, mais Google reste sur le podium.
✊ La droite aux USA écrase l’écosystème médiatique en ligne : selon Media Matters, 9 des 10 shows les plus suivis sont conservateurs, souvent camouflés en podcasts “comédie” ou “société”. Résultat ? Des millions d’ados pensent regarder un divertissement inoffensif alors qu’ils se font doucement matrixer par des idéologies plus que douteuses. Si quelqu’un a une analyse FR similaire, je suis très preneur.
🙃 Non, l’IA ne va pas vous libérer du travail chiant : elle va surtout vous demander de vérifier le travail chiant qu’elle a fait à votre place. Et ce, sans vous demander votre avis. Comme le rappellent deux chercheuses dans Le Monde, l’IA n’allège pas le boulot, elle change juste votre rôle : de créateur à contrôleur. Moins d’autonomie, moins de savoir-faire, mais plus de productivité… pour les actionnaires, of course. Bosser se résumera bientôt à appuyer sur des boutons “valider”, trop cool.
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Cher Alexandre, encore une fois je me délecte de la richesse de ton contenu et de sa forme inimitable. Une mine d'info, des analyses pertinentes avec un ego bien dosé ! Je t'élirais bien président, tiens.
Et puisque tu as parlé de contenu imparfait mais touchant, j'ai vu un oubli de négation qui perturbe le sens de ton discours... mais c'est tellement humain que ça m'a émue (bon, je chiale pas non plus, faut pas exagérer).
Cette histoire de chatGPT devenu accessoire d'apprentissage me fait extrêmement plaisir car elle confirme mon idée (et aussi mon business) : les gens veulent comprendre et pas seulement consommer comme des gros bulots. Merci !
J'aime beaucoup ta newsletter, car elle est toujours très sourcée. Tu es une sorte de grand reporter du marketing de contenu à mes yeux.