đ€Ą Peut-on ĂȘtre vraiment authentiques dans nos contenus ?
#17 - Et on cause aussi chocs narratifs, R&D pour les contenus, mort d'Internet ou encore déboires et dérives ivres chez les réso socio.
La semaine derniĂšre, je suis tombĂ© sur un carrourou qui expliquait quâen 2025, cette fois, ça y est, fallait se coller Ă la lâauthenticitĂ© brute, la vraie, avec ses victoires et ses Ă©checs, pas celle en poudre magique de Merlinpinpin consistant Ă maculer son feed de contenus bullshito-selfiesques.
En fringant trentenaire bobo-charentaises, jâai donc bu une petite gorgĂ©e de mon moka en pouffant avec dĂ©lices, puis je me suis fendu de ce dĂ©but de rĂ©ponse :
J'y crois pas un seul instant Ă l'authenticitĂ© brute. LinkedIn est un théùtre, et tout est rĂ©cit. MĂȘme cette authenticitĂ© brute de dĂ©coffrage que tu dĂ©cris, au fond, c'est un angle narratif soigneusement choisi.
Je vous propose donc, en ce dĂ©but dâannĂ©e 2025 - bonne annĂ©e au fait, tout ça tout ça - de prendre un instant pour rĂ©flĂ©chir Ă ce que signifie rĂ©ellement l'authenticitĂ© sur une plateforme comme LinkedIn et, par extension, de nous poser la question : peut-on vraiment ĂȘtre authentiques dans nos contenus ou ne faisons-nous que jouer des rĂŽles, comme au cinoche ?
Je vous accorde quelques minutes pour plancher sur cette khĂŽlle en laissant un petit commentaire, ensuite vous pouvez revenir ici :
Merci dâavance pour votre comâ, mais câĂ©tait pas la peine de vous causer grand mal puisque des gens trĂšs sĂ©rieux ont dĂ©jĂ fait le taf Ă votre place : ainsi, selon le sociologue Erving Goffman, la vie sociale peut en effet ĂȘtre comparĂ©e Ă une scĂšne de théùtre oĂč chacun joue un rĂŽle pour donner une certaine image de soi aux autres.
Dans son ouvrage La mise en scĂšne de la vie quotidienne, il dĂ©veloppe l'idĂ©e que tout individu ajuste son comportement en fonction du contexte social et des attentes du public ; par consĂ©quent, on porte toutes et tous des masques selon la situation - par exemple, en mode serious game lors dâun call avec un prospect, ou baladin super inspirant sur LinkedIn. Ce jeu de rĂŽles, conscient ou non, façonne la perception que les autres ont de nous et devient particuliĂšrement Ă©vident sur les rĂ©seaux sociaux.
Ăa nâaura donc Ă©chappĂ© Ă personne, sur LinkedIn, cette mise en scĂšne est omniprĂ©sente.
Quand quelqu'un partage ses Ă©checs ou ses moments de doute, c'est pas juste un acte de sincĂ©ritĂ© pure ni pour lâamour du storytelling brutalix. Câest une stratĂ©gie qui vise non seulement Ă contrĂŽler la perception que lâon donne Ă voir, mais aussi Ă accumuler du capital symbolique (cc Bourdieu, histoire de se la jouer intello). Ce capital, mesurĂ© en likes, en coms et en partages, sert de monnaie sociale pour renforcer l'autoritĂ© perçue et la street cred - et si vous en avez besoin pour 2025, je me dois de vous renvoyer vers ce fabuleux post dâAgathe.
Et puis, il sâagit aussi de montrer qu'on a traversĂ© des Ă©preuves, donc que lâon est plus fort, plus rĂ©silient, donc in fine plus crĂ©dible. On retrouve tout simplement l'Ă©cho du mythe du hĂ©ros cher Ă Campbell : il faut chuter pour se redĂ©finir, mais toujours devant une audience car, sans autrui, le rĂ©cit n'existe pas.
Peut-ĂȘtre que, plutĂŽt que de parler d'authenticitĂ© brute, faudrait admettre que LinkedIn - et les contenus que lâon ventile ici ou ailleurs, c'est avant tout une bataille narrative. Chaque morceau de contenu devient Ă©pĂ©e, hache, bouclier. Et lĂ -dessus, ce n'est pas tant la vĂ©ritĂ© qui importe, mais la maniĂšre dont elle est racontĂ©e, mise en scĂšne et amplifiĂ©e.
Il serait plus que temps dâutiliser LinkedIn avec un cerveau et une conscience critique, et de reconnaĂźtre que les contenus que lâon consomme sont gĂ©nĂ©ralement construits pour servir des objectifs spĂ©cifiques. Ăa ne signifie pas pour autant que lâon doive rejeter ces narrations, mais plutĂŽt de les apprĂ©hender avec raison.
Vous verrez, ça vous sera utile en toute circonstance.
Vous allez croire que cette newsletter est sponsorisĂ©e par Camille Gillet, mais je vous jure que non. Toujours est-il que la bougresse a sorti cette semaine une Ă©niĂšme Ă©dition passionnante de sa newsletter dans laquelle on explore notamment lâavĂšnement de lâĂšre du âtout rĂ©citâ, oĂč les faits cĂšdent la place Ă des narratifs concurrents et souvent manipulatoires.
Lâanalyse est gĂ©niale. Jâavais envie de nuancer deux choses.
Camille cite par exemple Viktorovitch, lequel explique que lâabsence de fondations communes rend le dĂ©bat dĂ©mocratique fragile. On commence cependant Ă avoir quelques Ă©tudes (comme celle de Sunstein que jâai dĂ©couverte pour lâoccazâ) qui montrent que la polarisation algorithmique - lâeffet bulle - joue un rĂŽle clĂ© dans lâĂ©rosion de ces fondements communs, sans doute bien plus que le volume narratif. Le problĂšme ne serait donc pas tant lâexcĂšs de rĂ©cits que leur mise en boĂźte bien rangĂ©e et sagement cloisonnĂ©e, et oĂč chaque individu consomme une rĂ©alitĂ© taillĂ©e sur mesure.
Ensuite, lâidĂ©e que âla parole politique nâest plus liĂ©e par le rĂ©elâ est trĂšs vraie, mais⊠pas nouvelle. LĂ -dessus, je me souviens dâun bouquin que jâavais lu quand jâai commencĂ© Ă bosser en agence et que je mâintĂ©ressais Ă Godin et son orchestre : Propagandes, dâEllul (bouquinĂ© en mĂȘme temps quâune bio de Goebbels dâailleurs đ€Ą), qui dĂ©crivait dĂ©jĂ comment les mythes modernes remplacent les faits dans les sociĂ©tĂ©s de masse. Ce qui change par contre aujourdâhui, câest lâĂ©chelle et la vitesse de propagation de ces mythes qui sont catalysĂ©s par les rĂ©seaux sociaux.
Oui, câest du pinaillage. Je vous avais dĂ©jĂ dit que jâĂ©tais relou ?
Dans son dernier billet, Fio de Content Folks fait un constat brutal mais lucide : personne (ou presque) ne pense spontanément aux marques dans son quotidien.
Alors oui, certes, la majoritĂ© des consommateurs ne se rĂ©veillent pas en pensant Ă un logo. Mais rĂ©duire l'intĂ©rĂȘt des marques Ă quelques moments d'achat hyper pragmatiques est pâtĂȘt quelque peu⊠rĂ©ducteur ?
La construction de l'attachement à une marque repose sur des émotions et des expériences répétées : Coca-Cola, Apple, ou Nike (pour citer les éléphants habituels) ne sont pas restés gravés dans l'esprit des consommateurs uniquement à cause d'un besoin ponctuel, mais grùce à des narratifs émotionnels puissants et une omniprésence visuelle via les contenus distillés ici et là .
Bref, mĂȘme si le temps d'attention paraĂźt aujourdâhui plus que jamais limitĂ©, un marketing pas trop mauvais doit jouer sur ces deux niveaux : du contenu âsnackâ pour capter l'attention, et du contenu plus Ă©laborĂ© (narratif ?) plus profond pour des dĂ©cisions impliquant davantage de rĂ©flexion.
Fin 2024, Tim Metz de chez Animalz partageait dans un article les expĂ©rimentations content marketing de son agence au fil de cette annĂ©e (les gonzâ sont devenus un vĂ©ritable laboratoire R&D). Parmi les projets qui ont rencontrĂ© un succĂšs certain : lâutilisation de communautĂ©s pour tester des idĂ©es, les formats de contenu dynamisĂ©s par lâIA, un outil gratuit pour analyser les articles obsolĂštesâŠ
La dĂ©marche est dâautant plus intĂ©ressante que l'expĂ©rimentation comme moteur d'innovation, ben on le rencontre pas souvent du tout cĂŽtĂ© francophone (je vous refais pas les 56 trains de retard, mais la volontĂ© est lĂ , SACHEZ-LE).
On a mĂȘme ici une approche qui transforme le content marketing en science appliquĂ©e : lâexpĂ©rimentation devient non seulement une mĂ©thode dâapprentissage, mais aussi un levier stratĂ©gique pour essayer de rester pertinent alors que les choses bougent Ă la vitesse dâun photon dans lâUnivers (299 792 458 m/s, vous dormirez moins con·nes).
Ăa soulĂšve toutefois une question : Ă force d'expĂ©rimenter des trucs tout le temps, les marques ne risquent-elles pas de se perdre dans une course Ă âlâinnovationâ au dĂ©triment de leur cohĂ©rence narrative ?
Gare aux essais qui ne tendent pas à nourrir une identité claire.
Dâabord, moult mercis Ă Agathe de mâavoir envoyĂ© ce petit papier - un article bien apocalyptique comme il faut pour commencer 2025, yâa que ça de vrai.
Hubert Guillaud explore dans ce passionnant billet l'invasion des rĂ©seaux sociaux par des contenus gĂ©nĂ©rĂ©s par IA que les spĂ©cialistes qualifieraient de âslopsâ - des vidĂ©os ou des textes absurdes, creux, souvent sexy, qui n'ont rien Ă dire mais tout Ă vendre (voilĂ , vous dormirez moins con).
MĂȘme si je partage plutĂŽt son opinion gĂ©nĂ©rale, je suis obligĂ©, rien que par contrariĂ©tĂ©, de me faire lâavocat de BelzĂ©buth en dĂ©montant deux ou trois arguments :
1. âL'IA slop signe la fin du contenu humainâ : probable, mais rien de certain non plus. Des Ă©tudes rĂ©centes soulignent que l'IA, bien utilisĂ©e, peut augmenter la diversitĂ© des idĂ©es en permettant des collaborations hybrides entre l'humain et la machine : c'est donc pas tant l'outil que la logique d'amplification algorithmique qu'il faut questionner (et la bĂȘtise humaine aussi, cf le CEO de Suno AI - lâoutil de gĂ©nĂ©ration de ziks - qui explique sans trembler que les gens nâaiment pas faire de la musique).
2. âL'IA est une idĂ©ologie qui stĂ©rilise la pensĂ©eâ : sĂ©duisant mais simpliste. L'IA n'est pas une force abstraite imposant des dogmes : c'est un ensemble d'outils dĂ©veloppĂ©s dans des contextes trĂšs variĂ©s. Ce sont les usages qui deviennent idĂ©ologiques lorsqu'ils visent Ă standardiser l'expĂ©rience pour maximiser la rentabilitĂ©. Dâailleurs, l'IA est un accĂ©lĂ©rateur, pas le point de dĂ©part de cette tendance.
3. âLe remplissage par l'IA dĂ©truit la vĂ©ritĂ© et la connaissanceâ : la surcharge de contenus gĂ©nĂ©rĂ©s par IA crĂ©erait une forme de relativisme informationnel, oĂč il deviendrait impossible de discerner la vĂ©ritĂ©. Ok, certes, mais ce phĂ©nomĂšne est bien antĂ©rieur Ă l'IA, cf le concept de post-vĂ©ritĂ© thĂ©orisĂ© dĂšs les annĂ©es 2010, et qui repose sur la surabondance d'informations contradictoires qui dilue la crĂ©dibilitĂ© des sources (phĂ©nomĂšne amplifiĂ© par les rĂ©seaux sociaux eux-mĂȘmes).
Lisez quand mĂȘme ce gros dosâ, il en vaut le dĂ©tour.
Câest le grand nâimporte quoi chez Meta. Comme vous le savez, Zucki a dĂ©cidĂ© dâendosser lâarmure du fier chevalier blanc de la âlibertĂ© d'expressionâ, sauf que ça commence Ă pĂ©ter un peu de partout façon jacqueries : le responsable des droits civils vient de quitter le navire, tandis que les employĂ©s de Meta hurlent au scandale. Mais no panic : Zuck va en retrouver dâautres plus masculino-compatibles.
(Ă noter quâAmazon, jaloux, rĂ©duit aussi ses programmes de diversitĂ©)
Pendant ce temps, Xiaohongshu, le âInstagram chinoisâ, explose sur lâApp Store en surfant sur lâinterdiction imminente de TikTok. Ou une dĂ©monstration brillante de comment l'attention collective migre sans rĂ©elle rĂ©flexion sur la gouvernance des plateformes : mĂȘme modĂšle, mĂȘme opacitĂ© algorithmique, mais nouvelle couche de contrĂŽle Ă©conomique et politique.
đ« Comment que vous avez trouvĂ© cette Ă©dition encore un chouille remaniĂ©e ?
SĂ©lection de news resserrĂ©e & balançage dâavis et dâopinions Ă qui-mieux-mieux : vous pouvez m'aider Ă le savoir en likant lâĂ©dition (ou pas) ci-dessous, voire en laissant un commentaire salĂ© comme la Mer Morte.
Si ça vous a botté, vous pouvez aider cette noble missive à se tailler une réputation par-delà les mers de Substack :
J'ai eu la mĂȘme rĂ©flexion rĂ©cemment, Ă peu de choses prĂšs, sur notre authenticitĂ©. Quand je suis arrivĂ©e sur Substack, j'ai lu tout et son contraire sur ce qu'on devait poster sur Notes notamment. Certains disaient qu'il fallait rester positifs en toutes circonstances, d'autres qu'il fallait rester "authentiques" (justement) en sachant aussi montrer ses failles. Bref, un joyeux gloubi-boulga qui n'a pas Ă©tĂ© sans me rappeler le dĂ©bat stĂ©rile du contenu Ă publier sur LinkedIn.
En ce qui me concerne, je ne sais pas si je reste authentique partout, mais comme je suis autiste, je sais que je ne fais jamais semblant. Ăa m'a d'ailleurs souvent Ă©tĂ© reprochĂ© et si je devais rĂ©sumer ma vie en deux mots, ce serait : en marge.
De toute façon, c'est certain qu'on ne va pas publier la mĂȘme chose d'une plateforme Ă l'autre. La cible n'est pas la mĂȘme, les objectifs ne sont pas les mĂȘmes, etc. Je ne me vois pas parler Ă©criture crĂ©ative et fiction sur mon profil LinkedIn orientĂ© marketing et SEO (mon vrai mĂ©tier comme certains diraient). Alors, j'ai peut-ĂȘtre tort, mais je me dis qu'Ă partir du moment oĂč on doit adopter un parti pris sur son contenu, on rompt de toute façon avec l'authenticitĂ© au sens strict du terme.
DĂ©jĂ , je rĂ©ponds Ă la question de l'authenticitĂ© : oui, si on en a rien Ă foutre des consĂ©quences. Et encore, c'est dans la mesure oĂč on accepte d'ĂȘtre entiĂšrement jugĂ©. Et on n'aime dĂ©jĂ pas s'admettre nos Ă©checs, alors devant les autres... D'ailleurs, les Ă©checs ne sont que des tremplins Ă l'auto-congratulation en gĂ©nĂ©ral.
Mdr, effectivement, tu vas dans ce sens par la suite. (Merci pour le lien, d'ailleurs)
OUTCH ! Tu envoies du lourd sur la question de l'algorithme et des bulles de filtre ! A mettre en plus en lien avec le biais de confirmation. Je souscris totalement à ta nuance et au rappel que ce n'est pas nouveau, mais amplifié. Et de par son amplification, n'importe qui (ou presque) peut en prendre conscience. Mais ce n'importe qui... le veut-il ?
L'IA... On en a peur, on a raison, mais on n'interroge pas tellement les raisons de cette peur. Je doute que l'Humain puisse s'empĂȘcher de crĂ©er. La crĂ©ativitĂ© (quĂȘte de sens, tu connais ma position Ă ce sujet) est semblable Ă l'eau et s'infiltre partout. L'IA ne changera pas ça, pas plus que la profusion de communication via les rĂ©seaux et le numĂ©rique en gĂ©nĂ©ral n'a tuĂ© la communication et l'Ă©change rĂ©el humain. On voit mĂȘme tout l'inverse se produire avec quantitĂ© de retour "Ă la vie rĂ©elle et autres cafĂ©s du coin en physique". Que ça transforme Ă jamais notre monde, oui. Que ça soit une rĂ©volution industrielle (qui apporte avec elle un contexte politico-Ă©conomique vraiment particulier), oui. Mais que ça tue l'essence mĂȘme de l'Humain. J'en doute.
Concernant Tiktok, c'est pire : on voit trÚs nettement avec la proposition de rachat de Musk sur le TT US qu'il s'agit avant tout d'une opération commerciale népotique. Les américains, dans leur volonté d'échapper au "danger chinois" (réel, mais surtout symbolique) se ruent sur une plateforme encore plus fermée et cette fois, directement hébergée en Chine. Ca en dit long sur les réelles intentions derriÚre cette mesure. Elle aussi trÚs symbolique.
Personnellement, j'ai encore une fois adoré cette édition. Attention à ne pas te griller en donnant ton opinion, le vent tourne. Je sais qu'on me l'a reproché récemment, mais moi, je suis en train d'exploser en plein vol niveau saturation de ma maßtrise de com'. J'en ai marre.
J'ai adoré les visuels. C'est totalement toi et c'est encore plus clair !